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Rentrée littéraire

DE CE PAS OK Poursuivons notre découverte des petites pépites et autres trouvailles de cette rentrée littéraire. Un premier roman, ça vous dit ? Entrons dans « De ce pas », écrit par Caroline Broué.

Productrice depuis 2010 de l’émission « La Grande Table » sur France Culture, le magazine quotidien de la mi-journée qui entremêle la culture et les idées, Caroline Broué est diplômée de Sciences politiques et de Lettres modernes.

L’histoire de ce premier roman ? C’est celle de Tin-Marjorie. Tin est bébé quand elle rejoint la France en 1975 avec sa mère. Elles ont fui le Cambodge, désormais aux mains des Khmers Rouges. Le père de la fillette, lui, est resté. Probablement mort.

Tin deviendra danseuse comme sa mère. Puis danseuse étoile à l’Opéra de Paris. Jusqu’au jour où son corps lui dit stop. A quarante ans, Tin devenue Marjorie, doit réinventer sa vie. Et mettre des mots sur ce qui lui manque.

Son compagnon, Paul, est photographe. Sa manière à lui de parler. A la différence de Marjorie, lui a grandi dans les mots. Les paroles que l’on prononce. Souvent trop violentes. Sa soeur a-t-elle été, comme elle le clamait il y a des années victime de leur propre père ? Alors il s’est éloigné de sa famille protestante, installée en Ardèche. A rompu les liens. Mais comment faire pour avancer ?

Marjorie et Paul doivent, pour se pas se perdre et ne pas mettre en danger leur couple, réinventer une grammaire à eux pour continuer à faire vivre leur passé. La quarantaine venue, il est temps d’être en accord avec soi-même. Pas simple.

Caroline Broué signe là un premier roman maitrisé et très bien écrit. Un vrai plaisir de lecture !

L’auteure évoque ici la genèse et l’histoire de son premier roman

 

Extraits

Page 83 : « Paul avait beau être photographe, quand ils étaient ensemble, la main du peintre rejoignait le bras du danseur. Ce qui réunissait Paul et Tin, fondamentalement, c’était le silence. Le silence de l’art. Ils se trouvaient précisément à la jonction de deux axes complémentaires : celui du peintre dansant sur sa toile et celui du danseur composant les couleurs de sa chorégraphie. Leurs vies s’entremêlaient, et ce mariage impromptu transcendait leurs différences. Ils n’avaient pas besoin de se parler pour se comprendre. L’entente entre eux était tacite. Ils s’accordaient d’un regard furtif. D’un geste de la main. Loin de tout bavardage, de tout mot superflu, leur mode d’être et de relation relevait de l’implicite, de l’entendu avant même d’être dit. Ils s’étaient trouvés dans le silence. Ils se retrouvaient sur l’essentiel. »

Pages 122-123 : « Paul et Marjorie n’arrivent plus à se parler. Les mots restent bloqués dans leur gorge. Marjorie est aussi impuissante que Paul est désarmé. Ils sont deux êtres seuls, isolés, retranchés dans leur tour.

Et puis, un soir, sans crier gare, Paul se met à hoqueter. “J’étouffe. Je me noie. Marjorie, je me noie. Ils ne me quittent pas, ils m’assaillent. Ils m’emmènent vers le tourbillon. Je ne parviens plus à fuir. Ils envahissent tout, me demandent des comptes, obstruent ma vue, mon ouïe, ma bouche, accablent mes sens. Je ne peux leur échapper. Ils m’enserrent de leur point de vue, de leur monde étriqué, enfermé sur eux-mêmes, sur leur égocentrisme. Ils m’empêchent. J’ai peur de reproduire la même chose avec toi. Je ne peux plus avancer. J’ai marché en crabe toute ma vie, j’ai contourné les obstacles pour m’en sortir, pour échapper à leur emprise, mais la marée est plus forte, et la vague est sur le point d’engloutir mes efforts. J’ai fait de mon mieux pour accomplir ma mission. Mais, quand j’ai fui, j’ai failli à ma charge. Je les ai laissés se débrouiller seuls. Je n’ai pas été à la hauteur des attentes de ma famille. « 

Page 146 : « Le père de Paul est mort. Les funérailles ont lieu à Aubenas. Paul s’y rend seul, selon sa volonté. Il n’a aucune envie de mêler Marjorie et Elena à tout ça. Ce n’est pas le moment pour elles de faire connaissance avec sa famille. Il n’est pas retourné là-bas depuis son départ fracassant, il sait que les souvenirs vont s’entrechoquer et que toute sa douleur va remonter. Il sait aussi que Suzie ne peut se tenir en compagnie de sa mère. Il se souvient de toutes ces scènes auxquelles il a assisté avant de décider de ne plus se rendre à aucun endroit où elles seraient toutes les deux. Des drames, des cris, des pleurs. Non, merci. »

« De ce pas », Caroline Broué, Sabine Wespieser éditeur, 17€.

Une Réponse à “Dépasser le silence, enfin”

  1. lefrancais dit :

    Un blog que je découvre avec plaisir, ma P.A.L. va encore grimper de quelques centimètres.

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